« La fixation des objectifs est une question épistémologique. Il s’agit de savoir pourquoi on désire vraiment atteindre un objectif et de repérer les contraintes que cela va engendrer. Il s’agit de savoir comment un individu, façonné par une famille, par ses relations, dans une culture donnée, fruit elle-même d’une histoire, en vient à exprimer un désir.
Il existe de bons et de mauvais objectifs. Il existe des objectifs dont on n’a pas compris toute la portée, tout le sens et toutes les implications. Pour certains, le désir de briller fera d’eux une étoile morte dans l’oeuf, jamais née ou, si elle nait, une étoile peu brillante, et si vite consumée.
La fixation des objectifs demande d’élaborer en soi, et grâce aux autres, le recul stratégique.»
(Olivier Lafay)
HUITIÈME COMMANDEMENT : A la programmation détaillée, les objectifs tu préféreras.
Suite de la série intitulée :
LES DIX COMMANDEMENTS DE L’APPROCHE SYSTÉMIQUE APPLIQUÉS À LA MÉTHODE LAFAY
aka
LES DIX COMMANDEMENTS DE LA CYBER-MUSCULATION (N° 8)
« Fixation des objectif et contrôle rigoureux contre une programmation détaillée de chaque étape : c’est ce qui différencie un servomécanisme d’une machine automatique à commande rigide. Le programme de la machine automatique doit prévoir toutes les perturbations susceptibles de survenir en cours de route. Le servomécanisme s’adapte à la complexité : il suffit de fixer le but sans ambiguïté et de mettre en place les moyens de contrôle permettant de corriger les écarts en cours d’action. »
( Joël de Rosnay)
Seulement, ces perturbations peuvent être négatives ou positives pour le système. Les phénomènes extérieurs qui vont entraîner une désorganisation du système seront considérés comme négatifs ou destructeurs et ceux qui vont permettre une complexification du système, comme positifs ou constructeurs. Mais la qualité de la perturbation n’est pas donnée d’avance et elle résultera de l’interaction avec le système-individu. Une perturbation pourra être destructrice ou constructrice en fonction de la capacité de l’individu à l’exploiter ou non.
Si la perturbation reste un « bruit » pour le système, elle provoquera, dans le meilleur des cas, un stress passager mais elle ne pourra le construire. En revanche, si la perturbation devient une information pour le système, celui-ci pourra réagir et s’adapter. De l’instabilité engendrée par cette agression va naître un nouvel état d’équilibre du système plus élevé, plus complexe.
Et c’est cette complexité elle-même, celle du système-individu, qui permet de transformer du bruit en information, une perturbation destructrice en constructrice. Plus le système accroît sa complexité, plus il est souple et apte à intégrer positivement des perturbations.
La personne qui souhaite vivre bien et longtemps a donc tout intérêt à mettre en place une stratégie qui lui permette de se complexifier davantage. Et comme nous l’avons conclu dans le 7ème commandement, il faut être dans une attitude d’ouverture sur le monde car c’est de lui que proviennent les informations (ainsi que la matière et l’énergie) capables de nous faire croître et durer, de nous maintenir éloignés de l’entropie maximale (c’est-à-dire de ce qui augmente le désordre de notre structure et nous rapproche de la mort).
Cette personne qui souhaite donc croître et durer dans ce monde de processus chaotiques et aveugle à nos souffrances doit nécessairement faire de l’ordre en lui et autour de lui. Il doit pour ce faire utiliser des outils qui lui permettent de réaliser cet ordre et de passer à l’action. La systémique et la cybernétique lui fournissent ces outils et lui permettent une modélisation de lui-même en tant que système-individu en interactions multiples avec son milieu extérieur.
Une fois la modélisation du système réalisée, et bien qu’elle soit perfectible à l’infini, elle nous conduit directement à l’établissement d’une méthode. Olivier Lafay a déjà beaucoup parlé des relations entre modélisation des individus et méthode dans plusieurs de ses articles et nous ne le paraphraserons pas ici. Nous rappellerons seulement plusieurs points nécessaires à la suite du raisonnement :
– Pour faire évoluer un système vivant, il faut provoquer son instabilité.
– Cette instabilité doit être contrôlée pour faire évoluer le système dans la direction choisie (complexification) (voir le Septième commandement : Pour évoluer, agresser tu te laisseras)
– L’établissement d’une méthode qui vise à l’action efficiente doit donc appliquer la politique des petits pas pour infléchir le système sans créer une instabilité trop importante, source de désorganisation.
– Il faut donc des moyens de contrôle qui permettent d’ajuster en permanence les contraintes internes au système (l’entraînement en musculation par exemple) pour que le rapport signal sur bruit soit toujours en faveur du signal, c’est-à-dire de l’information constructrice.
– Cela demande donc de réfléchir aux moyens mis en place par cette méthode pour permettre au système-individu d’atteindre le but qu’il s’est fixé.
Cette méthode, au sens étymologique du terme, « poursuivre un chemin », pourrait proposer, entre autres possibilités, une programmation détaillée des étapes à mettre en place pour conduire l’individu vers son but. C’est la manière classique de procéder lorsque l’on a une vision encore analytique de la nature et des mécanismes biologiques. On simplifie et on mutile des processus, on les sépare les uns des autres pour espérer les contrôler. On cloisonne, on divise pour mieux régner, seul moyen d’appliquer un raisonnement linéaire causal à des mécanismes auto-régulés, c’est-à-dire des mécanismes au fonctionnement circulaire, en boucles de régulation.
La périodisation/planification des entraînements en musculation est un bel exemple de procédé s’appuyant sur la pensée analytique simplificatrice née de la Révolution Industrielle. On est ici, dans le domaine de la physiologie du sport, à la pointe de la connaissance mais comme chaque discipline est cloisonnée, sans lien aucun avec ses voisines, on se retrouve avec un patchwork de connaissances spécialisées et éparses. C’est qu’il manque une vision cohérente et englobante de tous ses savoirs en une méthode tournée vers l’action efficace.
En son absence, les résultats sont prévisibles. Et l’évolution actuelle des modèles d’entraînement classique en musculation ne doit pas nous tromper. Si la périodisation ondulatoire remplace l’alternée et la linéaire, elle n’en est pas moins périodisation. Il s’agit toujours de séparer les différentes composantes du muscle et de les entraîner alternativement. Comme c’est le cas avec la périodisation en cinq phases de travail musculaire : hypertrophique, de force, d’intensité, de force maximale et de récupération active (Wilmore et Costill, Physiologie du sport et de l’exercice).
Le NPNG s’adoucit mais il reste NPNG. Le changement est quantitatif, non qualitatif. Ce n’est pas un méta-changement, juste un changement de niveau 1. Il s’agit toujours de suivre un programme détaillé sans replacer le sous-système musculaire dans le contexte plus grand du système-individu. Lui-même englobé par son milieu. Le modèle est donc rigide et ne tient pas compte des contraintes externes au système. Il faut avancer quoi qu’il en coûte. C’est la politique des coups de pied au cul et même si on en met peut-être moins, il faut encore et toujours sortir de cette zone de confort (voir Les apports du Tome 2 pour les Coachs : cybernétique et entraînement, par Maxime Bratanoff (première et deuxième parties)).
Certes, la déstabilisation du système-individu nécessaire à l’évolution est bien là, mais elle ne tient nullement compte des risques de désorganisation du système, et donc de l’usure précoce ainsi que des blessures occasionnées. C’est que la santé n’est toujours pas le critère central du développement physique. Et si certains coachs commencent à utiliser le mot santé à tout bout de champ, ce n’est encore qu’un vernis qui cache une réflexion de fond inchangée : il faut forcer la Nature pour progresser.
Si tel n’était pas le cas, ces coachs soudain soucieux de santé dans l’entraînement auraient ouvert le dialogue avec Olivier Lafay, précurseur en la matière depuis 2004 et responsable d’un changement de paradigme qui a le succès qu’on connaît.
Si la programmation détaillée de chaque étape utilisée comme modèle de progression en musculation est le propre de la pensée analytique linéaire, quels outils une méthode basée sur la pensée complexe se doit d’utiliser ?
Si dans le cahier des charges d’une telle méthode, il est nécessaire :
– de placer la santé au centre du développement physique (respect de la variété du système, conservation des boucles de régulation, …)
– de contrôler l’instabilité du système pour ne générer qu’une évolution constructrice du système-individu
– d’adapter l’intensité des contraintes internes (entraînement de musculation) en fonction des contraintes externes (travail, famille, vie sociale).
– de permettre un sentiment de contrôle du pratiquant qui écarte ainsi l’angoisse et entretient la motivation
Alors, la fixation des objectifs et le contrôle rigoureux sont les clés d’une méthode efficiente.
De ce fait, la définition des objectifs dans la Méthode Lafay (et aussi dans la Méthode de Nutrition) sans périodisation extrême et rigide permet une adaptabilité plus grande. Faces aux contraintes externes qui ne cessent de surgir dans le quotidien de l’homme contemporain, une bonne utilisation du Proteo-system permet de continuer l’entraînement sereinement, sans se forcer, en minimisant les risques de s’user et de se blesser. Les objectifs (volume, performance, perte de poids, entretien) restent les mêmes mais on ajuste les différents leviers à notre disposition (nombre et intensité des séances, boucles et mini-boucles, accent sur les étirements et la relaxation, pratique des 4 piliers, …) pour harmoniser contraintes externes et contraintes internes. Il s’agit de maintenir le cap sans s’épuiser à vouloir régler toutes nos affaires frontalement. Ainsi, progressivement, le système évolue vers toujours plus de complexité grâce à une instabilité légère et savamment dosée.
Qu’un événement inattendu se produise dans notre quotidien et le stress que l’on s’inflige régulièrement pour infléchir notre évolution (contrainte interne) est modifié pour éviter une déstabilisation trop grande, source d’affaiblissement de notre être. On diminue l’intensité de l’effort à l’entraînement (séance à 70 %, boucle, mini-boucle, …) ou on supprime l’effort temporairement (deux séances dans la semaine au lieu de trois, semaine de repos, …).
C’est un apprentissage qui demande de l’expérience et une bonne connaissance de son corps mais c’est ainsi que l’on devient un véritable stratège de son quotidien et de son développement. Ce qui était source d’instabilité destructrice chez nous peut même devenir progressivement source d’instabilité constructrice. On transforme une partie du bruit en signal, en information. Il faut pour cela utiliser une modélisation capable de rendre compte de la complexité des processus qui nous régissent et des multiples interactions que nous nouons avec notre environnement. Un individu est indissociable de son milieu.
Si la modélisation repose uniquement sur la pensée simplificatrice qui fait encore tant de ravages dans le monde, elle proposera de faire évoluer le système par l’intermédiaire de programmes rigides et détaillés. Comme ces périodisations isolent l’individu de son milieu et cloisonnent le fonctionnement des différents sous-systèmes (musculaire, articulaire, nerveux, hormonal, …) de l’individu-système, elles ne sont pas en mesure de proposer une adaptabilité suffisante pour faire face aux aléas et contraintes externes au système.
C’est pourquoi il faut préférer la fixation d’objectifs et leur contrôle rigoureux. Une fois l’objectif fixé, le système-individu compose avec les perturbations qu’il subit au quotidien. S’il y a pas ou peu de contraintes externes, l’individu peut choisir d’intensifier les contraintes internes (son entraînement de musculation), surtout si une vague de croissance se présente à lui. C’est aussi ça la recherche des points d’amplification évoquée dans le troisième commandement : « les points d’amplification tu rechercheras ».
En revanche, si les contraintes externes (professionnelles, sociales ou familiales) sont fortes, le pratiquant a tout intérêt à diminuer l’intensité de ses entraînements. C’est une attitude active contrairement à ce que nos conditionnements pourraient nous laisser croire. Conserver un entraînement intense malgré les circonstances défavorables fera accroître l’instabilité du système et même si l’exercice physique permettra d’évacuer une partie du stress, l’instabilité résiduelle finira toujours par entraîner une évolution destructrice du système si les contraintes externes et internes perdurent. (voir Les fondation de votre santé in Méthode de Musculation, T2 L’espace Stratégique par Olivier Lafay).
Cette attitude active, qu’on retrouve théorisée chez les stratèges chinois sous la notion de Wu Wei : « Savoir quand agir et quand ne pas agir », est donc au cœur de la Méthode Lafay. Elle résume très bien l’importance de préférer les objectifs à la programmation détaillée.
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Premier commandement à lire ici : http://wp.me/p2Rdcw-4f3
Deuxième commandement à lire ici : http://wp.me/p2Rdcw-4f8
Troisième commandement à lire ici : http://wp.me/p2Rdcw-4fh
Quatrième commandement à lire ici : http://wp.me/p2Rdcw-4fE
Cinquième commandement à lire ici : http://wp.me/p2Rdcw-4w4
Sixième commandement à lire ici : http://wp.me/p2Rdcw-4we
Septième commandement à lire ici: http://wp.me/p2Rdcw-4wo
Les photos sont celles de pratiquants de la Méthode Lafay 🙂
Auteurs de référence :
Norbert Wiener
Heinz von Foerster
Henri Atlan
Henri Laborit
Jean-Louis Le Moigne
Edgar Morin
Hannah Arendt
En pleine rédaction de “programmes ouverts” en symbiose avec la Méthode pour artistes de cirque et pratiquants de figures gymniques, ce commandement tombe à pique. Merci Yann Ollivier.