Je réponds ci-dessous à cette remarque (si tolérante) faite au sujet d’un transgenre venu affirmer son identité au coeur d’un débat sur le phénomène du changement de sexe : “Fondamentalement personne n’a à lui dire comment il doit vivre son identité”
C’est faux.
Dire cela, c’est montrer à quel point on a intégré les valeurs néolibérales, et proclamer de la tolérance là où l’on est incapable de se préoccuper vraiment de l’autre, de l’aimer.
Mais dans une société où l’on détruit l’amour, pour lui opposer la toute puissance de l’ego, le seul substitut pathétique qu’on propose, c’est la tolérance.
Soit l’on considère que l’histoire, la psychologie, la biologie, ont un sens, et qu’il existe donc des normes de santé mentale et physique, qui font le socle des communautés humaines et de leur équilibre; soit on considère qu’il n’y a rien au-delà de la fantasmatique de l’individu, et que le monde, c’est juste le désir de chacun, des désirs qui s’affrontent, et que la science, la connaissance, c’est inutile et dangereux (pour l’ego).
Le néolibéralisme, c’est la proclamation du désir immédiat, de sa satisfaction impensée, d’une vie hors de l’historicité.
Consommer et jouir de soi sans limite, être son terrain d’expérimentation, sans pensée de sa construction, sans pensée des conséquences.
Si je considère que l’humain n’est pas juste une idée un esprit hors de toute racine historique et biologique, et que je vois l’autre souffrir, je ne vais certainement pas, si j’ai de l’empathie, lui dire que je suis “tolérant” et qu’il fait ce qu’il veut.J’ai envie qu’il fasse au mieux compte tenu de ce qu’est la condition humaine !Et je vais en discuter avec lui. Et s’il n’est pas d’accord, on va en débattre !C’est cela aimer l’humain, l’autre, et soi-même. C’est discuter, s’intéresser, et provoquer ainsi l’évolution personnelle et collective.
On peut tellement apporter en allant vers l’autre, et même en le bousculant. Et l’inverse est vrai. On s’apporte ce qu’on ne savait pas. On s’apporte l’altérité. Mais dans une société où les gens n’ont plus d’amour, plus d’estime de soi, et ont été dressés à juste vouloir jouir sans limite, il n’est pas question de se confronter à l’altérité. Pas question de discuter, de mettre l’autre à l’épreuve du réel.
De se mettre soi-même à l’épreuve du réel.
La différence on la vante autant qu’elle nous fait peur. On la vante d’autant plus qu’elle nous fait peur !
Le réel, ce serait ce qu’on en fait…. Et aimer, ce serait en fait ignorer, en paraissant défendre l’autre dans ses choix. C’est la nouvelle morale : jouir tous ensemble dans un monde fictionnel. Et ne pas juger.
Sauf que juger, on le fait tout le temps. Ne serait-ce qu’en jugeant qu’on ne doit pas juger.
Et aussi que la souffrance des gens fait crouler le monde, le rend insécure, et pousse encore plus les gens à se réfugier dans l’irréel, la fiction sur soi, les autres, le monde. Et le monde souffre de plus en plus. Plus chacun s’enferme dans son auto-fiction, plus le monde devient dangereux à vivre.
Pourquoi? Parce que nos désirs s’opposent, se font concurrence ! Donc, sous la tolérance, il y a la guerre de tous contre tous, que la nouvelle morale fait mine d’ignorer.
Chacun devrait donc chercher à s’enraciner dans le réel, afin d’agir au mieux selon ce qu’est vraiment l’humain. qui n’est pas une fiction…. qui n’est pas juste une histoire qu’on peut se raconter. Et c’est un travail collectif.Or on assiste à l’inverse à un travail collectif de déréalisation, de déshumanisation.
Plus je vais souffrir, plus je vais m’inventer une identité valorisante, une porte de sortie qui n’est autre qu’une histoire. Et s’il n’y a personne pour poser des garde-fous, je vais nécessairement sombrer à un moment ou à un autre.
Une des bases de l’humain est que la présence de l’autre, le fait de le considérer, me rend RESPONSABLE vis à vis de lui. Si je me déresponsabilise, je porte atteinte à ce qu’il y a d’humain en moi et en lui.
Et devenir seulement des consommateurs uniquement préoccupés de leurs désirs individuels non questionnés,, ne plus avoir de valeur autres que la satisfaction du désir (je fais ce que je veux avec mon corps), c’est perdre en humanité.
Il n’y a plus de valeurs, plus d’ordre, plus de collectif, plus d’amour. Donc plus d’humain. Et comme nous sommes naturellement humains, on ne peut que souffrir, et on va attribuer ça aux autres, qui sont méchants (là, on n’est plus tolérant, bizarrement), ou au fait qu’on n’est pas allé assez loin dans le désir et sa satisfaction rapide.
Et on va chercher de nouveaux désirs à satisfaire.
Pas un moment on ne va s’interroger sur ce qui fonde vraiment le soi…Jouir (pas sexuellement, hein, mais juste satisfaire un désir) sans penser, sans se penser.
Et c’est pas un hasard si on s’aventure sur ce chemin, car PENSER fait trop mal !Il n’y a donc rien de plus inhumain, de moins tolérant, que de laisser à l’autre la charge de sa souffrance.
Un transgenre, cela souffre. Et cette souffrance me touche. Mais la manière de penser et résoudre le problème se heurte à ma conception de l’humain, qui n’est pas une simple opinion, un fantasme.
Alors j’interviens pour en discuter. Non pas pour ne pas aimer, être intolérant, bien au contraire ! Mais pour me montrer authentiquement aimant.
Parce que je suis humain, rien de ce qui est humain ne m’est étranger. Et en tant qu’humain, je vais à la rencontre de l’autre. et pour ça, je prendrai le risque de son rejet, car je sais que tout système va au bout de sa logique. Mais tenter d’infléchir la course des systèmes est nécessaire autant pour celui vers qui je vais, que pour l’humanité entière, puisque la question de l’altérité lui est consubstantielle.
Moi, ce que je vois, ce sont des millions d’humains fatigués d’exister, devenus nihilistes (nihilisme et relativisme, c’est la même chose), et qui exigent que l’autre les regarde jouir sans discuter, juste en disant que c’est bien.Sans plus aucune discussion sur les limites. Or la question des limites fait partie du vivant autant que la question de l’autre fait partie de l’humain.
Aimer, c’est bousculer, se bousculer, se faire bousculer, en cherchant une construction du collectif.
Inévitablement, la poursuite des désirs individuels, constamment alimentés par une machinerie mercantile, amènera la destruction de l’humanité.
Car nos désirs, je le répète, sont en concurrence, puisque chacun veut que l’autre soit un objet pour lui (“fais-moi jouir en étant spectateur ou instrument direct de cette jouissance.”). Personne ne désire et consomme seul dans son coin !Ainsi, plus je souffre, plus je dois consommer pour compenser.
Mais pour consommer, il me faut du désir.
Alors on me fournit ce désir sur un plateau et on me valide.Et je satisfais mon désir, sans en éprouver la valeur, sans la penser.
Mais je souffre encore, après un moment de pause dans la douleur de vivre.
Alors je dois encore désirer.
Et le cycle se perpétue !
Et dans cette frénésie du désir, je m’éloigne toujours plus de l’humain, donc de moi-même. Donc je vais souffrir toujours plus.
Et mon réflexe sera d’accuser les autres d’être méchants Mais c’est pas satisfaisant longtemps. Alors je vais encore et encore désirer, jusqu’à m’être consumé dans le désir. Et ce jour-là, je serai prêt pour sombrer définitivement dans le néant.
Lorsqu’on a un problème d’identité, celui qui ne s’intéresse pas à nous et proclame hypocritement sa tolérance, ne fait rien d’autre que de la non-assistance à personne en danger.
Car, même si on rejette toute aide, à part celle de personnes qui nous valident dans nos désirs, on se dira un jour, si on chute gravement, que l’on aurait bien aimé qu’on nous bouscule, afin d’éviter peut-être le pire.
Nous vivons une époque où tout le monde a de gros problèmes d’identité, puisque l’évolution sociale a posé la quête identitaire comme première. La transsexualité n’est qu’une expression parmi beaucoup d’autres de cette souffrance identitaire. “Qui suis-je? Ah, si je ressens ça et qu’on me dit que c’est acceptable, au nom de la tolérance, alors peut-être bien que ma “vraie” identité se trouve dans cette direction; alors allons-y !”Et ensuite?Plutôt que de condamner le phénomène transgenre, ou de le valider, chacun devrait se poser la question de la construction identitaire, de la famille et de la souffrance.
Portons le débat à un niveau d’exigence élevé, scientifique, non-déconnecté du réel humain.
Ce qui est pour l’instant impossible, au nom même de la… tolérance !Si, dans cette logique de débat humanisé, certains ne voient toujours pas d’autres issues que d’adopter une identité transgenre ou transsexuelles alors pourquoi pas.
Mais on pourra éviter à tant d’autres de prendre un chemin qui ne leur correspond pas, manipulés qu’ils sont par une propagande destinée à développer le marché du plaisir immédiat, sans pensée des conséquences. Et barrer la route à tant de parents (des mères) très perturbés qui cherchent à se singulariser en faisant de leurs enfants des jouets porteurs de nouvelles identités.
Ne pas passer à côté de l’autre est une des premières dimensions de l’amour
Je vous invite à lire Emmanuel Lévinas qui explore ce qu’est l’altérité.
Au-delà du détail (l’identité présentée), il y a l’autre, l’humain qu’est l’autre. Sa nature, sa construction, son être total.
Malheur à nous tous si nous passons à côté de cela…. au nom de la tolérance.
Pour faire écho à un article récent : laissons donc les autres aller au bout d’eux-mêmes et attendre qu’on vienne les chercher. Et fermons les yeux, depuis notre tolérance, sur les blessés et les cadavres.
Laissons continuer cette boucherie identitaire.
Voulez-vous vraiment vivre dans un hôpital où chacun penserait être tellement humain et généreux en se faisant juste, dans le meilleur des cas, le brancardier de l’autre, en fermant les yeux sur la souffrance du dehors?Qui vous reviendra forcément dans la gueule à un moment ou un autre, car “dehors”, quoi qu’on se raconte comme jolie histoire, c’est là où l’on vit tous “pour de vrai”…