Certains vont se dire : « mais quel est le rapport avec la musculation? »
Par contre, ceux qui ont déjà bien avancé dans la lecture des mes livres et de mes articles vont assez vite comprendre où je veux en venir.
Il y a un rapport, et nous le verrons très bientôt. Une fois que vous aurez lu les quinze lignes suivantes, nous passerons ensemble de l’aspect social au rapport de l’individu avec son corps, lorsqu’il pratique la musculation.
Cette image est explicite en tant que métaphore du fonctionnement social. Lorsque chacun ne pense qu’à construire SA barque, il participe activement à la destruction de ce qui le porte, le fait avancer et le protège des dangers de la vie.
On peut penser que vouloir construire sa barque à tout prix est légitime. Et tant pis pour les autres ! Et tant pis pour le TOUT ! L’individu passerait avant le collectif. Mais, si l’on y regarde de plus près, combien sauront terminer leur barque avant que le grand bateau (le TOUT) ne coule? Les autres, les plus lents, les moins doués, les malchanceux… couleront avec ce grand navire collectif.
C’est vraiment une course contre le collectif, une guerre de tous contre tous… Le plus rapide et le plus impitoyable pourra obtenir les meilleurs éléments pour construire SA barque et s’en aller, laissant beaucoup d’autres « concurrents » sur le carreau.
La question de savoir si ce vainqueur saurait survivre longtemps dans une mer déchaînée, à bord de sa petite barque n’est pas pensée… Cette petite barque, qu’il voit comme un grand navire, car il pense en être le seul architecte, et qu’il ne voit guère plus loin qu’elle, est-elle assez solide pour naviguer dans un tel environnement? Peut-on vivre vraiment seul? La partie peut-elle vraiment exister en prenant la dominance sur le TOUT?
Dans certains cas, peut-être…
Venons-en au corps, à la musculation.
Ce qui vaut au niveau de l’ensemble social vaut au niveau strictement individuel. Et cela, la Cybernétique l’explique très bien. Les ouvrages de Norbert Wiener ou Henri Laborit (par exemple) expliquent de manière très scientifique que chaque organisme humain est un ensemble d’éléments en interaction et s’autorégulant. Tout comme une société…
Dans le cas de la société, les individus, les marchandises et les infrastructures sont des éléments ayant établi entre eux de nombreux types de relations. La société est un TOUT, une sorte d’être vivant, qui cherche son équilibre, qui se régénère et cherche à durer.
Mais, malgré les efforts portés vers l’autorégulation, certains éléments peuvent prendre trop de pouvoir et porter atteinte au TOUT, en se portant finalement atteinte à eux-mêmes. Mais cela, ils l’ignorent, ou le perçoivent vaguement, car les luttes pour la dominance sont activées et entretenues de manière inconsciente.
L’individu est constitué d’un ensemble de relations, qui lient atomes, molécules, cellules, organes, jusqu’à former un TOUT. Cet ensemble s’autorégule; il cherche son équilibre, il cherche à se régénérer et à durer. Mais ses « choix » pour durer à court terme, lorsqu’ils sont mal éclairés, sont susceptibles de porter atteinte à son équilibre, à son plaisir de vivre et à sa longévité.
Lorsque l’on décide de faire de la musculation sous l’angle « No Pain No Gain », lorsque l’on décide de faire du muscle « à tout prix », en entrant en compétition avec soi-même, en se forçant pour toujours progresser, en étant même prêt à faire du muscle dans la douleur, on joue un intérêt particulier contre notre intérêt global.
On détruit l’ensemble pour construire certaines parties : le muscle visible, la performance circonscrite à ces muscles.
Cela se traduit par de la fatigue, des douleurs, des blessures, et même divers handicaps, à court, moyen ou long terme. Et, pour persister dans cette logique, on consomme de nombreux suppléments censés aider la récupération et le développement. Et la tentation du dopage peut se faire entendre assez vite, puisque c’est un outil de récupération permettant de continuer plus longtemps sur la voie du « No Pain No Gain », de gagner du muscle malgré tout ce qu’on s’inflige.
C’est possible d’en arriver là lorsqu’on est imprégné de l’idéologie sociale de la performance et donc de l’idée qu’il faut faire des sacrifices pour « réussir ». Il faut savoir SE sacrifier pour réussir, nous dit-on depuis l’enfance.
C’est possible quand on a appris à ne guère se soucier du TOUT, de l’ensemble. C’est possible quand on connaît très mal cet ensemble que nous sommes, quand on connaît très mal le fonctionnement cybernétique de l’organisme humain (de l’individu).
La question de la finalité de l’ensemble, de ce qui est réellement important pour un fonctionnement heureux et durable du système-individu est évacuée. Elle n’est pas traitée car bien souvent inconnue. Ce ne semble pas être un sujet majeur de préoccupation, enseigné dès l’enfance à chacun.
On met l’accent sur l’acquisition d’un savoir-faire, sans se poser la question de sa légitimité, sans chercher à savoir si le but qu’on cherche à atteindre, celui vers lequel le formatage social dirige notre regard… est le bon.
Bref, on met l’accent sur le savoir-faire, en oubliant le « savoir-quoi ».
« la presse exalte le »savoir-faire » américain depuis que nous avons eu le malheur de découvrir la bombe atomique. Il y a pourtant une qualité plus importante que celle-là et beaucoup plus rare aux Etats-Unis. C’est le »savoir-quoi » grâce auquel nous déterminons non seulement les moyens d’atteindre nos buts, mais aussi ce que doivent être nos buts. »
« J’ai dit que l’homme moderne, et particulièrement l’américain, quelque »savoir-faire » qu’il puisse avoir, est dénué de »savoir-quoi ». Il acceptera l’habileté supérieure des décisions prises par la machine sans trop s’inquiéter des motifs et principes qui les fondent. »
(Afin d’envisager toute la portée de cette citation, il nous suffit de remplacer « machine » par « institution »)
Ces citations de Norbert Wiener, le père de la Cybernétique, datent de 1955 et sont extraites de son ouvrage « Cybernétique et société ». Depuis, le mode de vie américain a envahi le monde, et le culte de l’efficacité, sans discussion des motivations et des buts, est implanté partout.
Dans ces propos de Norbert Wiener, on comprend la nécessité des réflexions téléologiques et épistémologiques, ces réflexions qui ont permis l’élaboration de la Méthode Lafay. Ces réflexions qui interrogent nos buts et les conditionnements qui les ont fabriqués.
Exemples concrets.
Les quatre citations suivantes, provenant de deux personnalités du monde de la musculation « classique » témoignent de l’intensité du problème. Lorsque l’accent est entièrement mis sur un savoir-faire qui ne se questionne pas, un savoir-faire détaché de tout « savoir-quoi ». Lorsque le but est vécu comme monolithique, inébranlable, alors la douleur et la blessure sont considérées comme « normales », le « revers de la médaille », les compagnons de route inévitables et irréductibles de tout pratiquant de musculation sérieusement investi.
« En moyenne , j’ai par jours 5 demandes de renseignement et d’aide sur des blessures …, la muscu comme tout autres activités pratiqué intensément augmente les risque de blessures …c’est la vie , et rien faire c’est dangereux aussi… »
« En même temps, ca permet de se reposer, de varier les routines. C’est l’avantage des blessures. »
Citations de Frédéric Delavier, auteur d’ouvrages sur la mécanique humaine liée à la musculation. Il est présenté comme spécialiste de biomécanique. On pourrait penser que les connaissances qu’il délivre sont censées permettre une pratique saine de la musculation, limitant les risques. Ses propos montrent que ce n’est pas le cas. La blessure est présentée comme un « avantage »…
« L entrainement, c est la guerre ! On veut du muscle ou on en veut pas. »
« On peut dire que la force athlétique détruit, mais le bodybuilding, c’est pareil. Au début, je pouvais forcer sur tous les exercices, sur tous les muscles, sans aucun problème. Mais maintenant, c’est terminé, il faut que je fasse des choix. Si je force partout, je m’arrache de partout.
D’ailleurs, c’est comme cela que je me suis légèrement déchiré le biceps il y a quelques mois, ce qui m’a fait “lâcher” pendant six semaines l’entraînement du dos et des biceps. On ne se rend pas compte tant que l’on ne force pas “vraiment” que tous les muscles travaillent à chaque entraînement, et donc que l’on ne peut pas tout faire “à fond”. Je ne peux plus tout faire “à fond” sans risque de finir vite fait à l’hôpital ! »
Citations de Rudy Coia, coach administrant le site « Superphysique », site d’information sur la pratique de la musculation, et grand promoteur et vendeur de suppléments. Ces substances vendues sous des noms très séduisants et censées permettre une meilleure récupération; et faciliter la (re)construction musculaire.
Ce qui laisse à penser que :
– soit les suppléments qu’il vend sont inefficaces car ne lui permettant pas de mieux récupérer et donc d’éviter les douleurs et blessures;
– soit les suppléments sont efficaces et l’état dans lequel il est renseigne sur la violence de ce qu’il s’inflige régulièrement à l’entraînement. Si les suppléments limitent effectivement la « casse », dans quel état serait-il s’il n’en prenait pas?
Sources :
Citation 1 : https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=872976079407474&id=257461797625575&__mref=message
Citation 2 : http://www.superphysique.org/articles/441 ?
Citation 3 : Twitter de Rudy Coia le 1 octobre 2013 (https://twitter.com/RudyCoia/media)
Citation 4 : http://www.superphysique.org/articles/419
En conclusion, et afin d’amener le lecteur à réfléchir à la question du « savoir-quoi », de ce qui détermine ses buts et les moyens de les atteindre, voici deux citations qui donnent du grain à moudre :
« Ah ! misère !… Écoutez les mortels mettre en cause les dieux ! C’est de nous, disent-ils, que leur viennent les maux, quand eux, en vérité, par leur propre sottise, aggravent les malheurs assignés par le sort. »
(Homère, L’Odyssée)
« Pour le constructiviste, la vie est un jeu à somme non nulle : les joueurs gagnent tous, ou perdent tous. La condition sine qua non de toute vie sociale n’est pas la compétition mais la coopération. Mais le prix d’une telle conception du monde, c’est qu’il faut remplacer la notion d’objectivité par celle de responsabilité. »
( Lynn Segal )
Je laisserai le lecteur faire le lien entre « responsabilité » et « savoir-quoi ».
Bonjours Mr Lafay merci pour vos articles et recherches auxqueles bon nombres portent grand attention,comment peut on partager son expérience sur la methode (témoignage) ? Merci
Il suffit de venir en parler sur cette page : https://www.facebook.com/groups/17045653093/
Super article comme toujours !
Et la citation de l’Odyssée à la fin du texte était très réjouissante 🙂