PENSER LES CONTEXTES : le pouvoir du moment présent

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PENSER LES CONTEXTES : le pouvoir du moment présent

L’apologie du “moment présent” que l’on voit monter en puissance depuis quelques décennies (depuis la montée irréductible du système ultra-libéral), est-elle une arnaque? Une grande sagesse?

Et pourquoi pas un mélange des deux?

Pour le comprendre, il faut un peu de recul et comprendre, pour commencer, que ce “moment présent”est un outil permettant à l’homme de supporter la vie, qui se développe et se maintient dans des contextes précisément identifiables.
Chaque idéologie, qui se présente toujours comme une sagesse, qu’elle soit occidentale ou orientale, prend racine dans un contexte et remplit une fonction. Elle comble un besoin.

L’occident, depuis l’époque grecque, a vécu dans le “plan”, c’est-à-dire dans un idéal de transformation du monde, quitte à le violer.Sur le fond d’un idéal de transformation de soi, dont le Christianisme, puis les Lumières , ont été les formidables vecteurs.
Ce fût le moyen d’échapper au mythe de l’éternel retour (cf Mircea Eliade). D’un point de vue pragmatique, il s’agissait d’échapper à la faim, aux maladies, à l’inconfort permanent.

Vivre dans le plan, forger un plan et forcer le monde à s’y soumettre, pressés que nous l’avons été de mieux vivre, a eu de formidables conséquences positives (complexification et humanisation de nos sociétés) mais aussi de terribles conséquences (industrialisation de la guerre, perte de sens, perte des repères identitaires, montée des psychoses, de la folie).

Dans ce cadre, l’intégration d’un mode de pensée qui se veut être une soumission au monde, un lâcher-prise, s’est avéré nécessaire, produit par les circonstances. Plutôt que se poser les conditions de l’humanisation, comme l’ont fait de grands penseurs comme Edgar Morin, il nous a été plus facile de puiser dans la boîte à outils idéologique de l’Asie. L’occidental est un consommateur. Il fonctionne comme il a appris à être. Il aime bien se procurer ce qui est présenté en vitrine. Le prêt-à-penser, c’est plus pratique que l’artisanat conceptuel…

Le plus abouti serait d’intégrer ce mode de pensée venu d’Asie comme élément seulement périphérique, régénérateur parmi d’autres, d’une humanisation de soi (Gnothi seauton nourri des sciences de notre époque). Mais ce n’est pas le chemin le plus facile car il faut se cultiver, lire, analyser, comprendre, comparer, discuter, débattre. Bref, il faut vivre ensemble et non replié sur soi dans une société de plus en plus atomisée, où la guerre de tous contre tous va jusqu’à dresser les hommes contre les femmes; jusqu’au coeur du couple.

Transférer des outils issus de culture asiatique sans les penser, sans comprendre qu’ils sont relatifs à leur culture d’origine (qu’on ne pense pas) est plus facile, plus économique, parce que :

  • s’humaniser quand on n’a pas les moyens, c’est dur;
  • aller vers l’autre, c’est dur (mieux vaut faire comme on nous l’ordonne : se replier sur soi):
  • on a besoin de solutions simples à mettre en oeuvre car l’angoisse nous oppresse;
  • on nous martèle sans cesse la fin des grandes idéologies, depuis 40 ans (cf BHL), on ne sait donc plus où aller, où croire;
  • Le système économique nous déshumanise et pour accepter le monde tel qu’il est, afin d’espérer y trouver une place, il faut démissionner de toute volonté de s’inscrire dans un plan autre que celui des dominants. Bref, il faut obéir aux forts si l’on veut qu’ils nous accordent leurs faveurs, si l’on veut ne pas être exclu. Et être marginal doit être présenté comme un “libre choix”;
  • les puissants de ce monde trouvent de nombreux avantages à adhérer aux idéologies venues d’Asie (Cf Steve Jobs) car elles permettent de justifier et supporter l’exploitation de l’homme par l’homme, la vie de milliards d’êtres humains dans des conditions indignes.

Ainsi, pris comme élément séparé, à inclure dans une attitude sybernétique, le “moment présent” et la pensée du lâcher-prise, l’inscription de soi dans le processus, sont une avancée nécessaire à l’humanisation occidentale. Pris comme sagesse en soi, ce qui est le plus souvent le cas, c’est une formidable régression.

Parlons de cette régression.

A quoi sert une idéologie. Comment fonctionne un être humain. Pourquoi le besoin de certitudes. J’explique cela sur des centaines d’articles, avec de prestigieuses références.
Le moment présent, c’est une adéquation totale avec son sujet (on ne pense plus, car penser c’est mal).
C’est pour l’aspect objectif.

Pour l’aspect subjectif, on a les interprétations très valorisantes que des “sages” tentent de donner, afin de se donner une identité valorisante.

Autrement dit : c’est une façon de retourner un comportement négatif (se soumettre à l’ordre social et oublier tout projet collectif de transformation du monde et tout projet individuel de transformation de soi, car l’ego c’est mal) en comportement positif (je ne me soumets pas, non non, je décide de vivre le moment présent car c’est une sagesse).
L’apologie du moment présent est une apologie de la soumission (je laisse les rênes à ceux qui ont le pouvoir et dirigent entièrement ma vie, mais c’est parce que je suis un sage qui a découvert une spiritualité d’un ordre supérieur).
Et l’on remarque que le bouddhisme provient de sociétés féodales (le Tibet par exemple) et est bien implanté dans les sociétés fourmilières, dures, très fortement hiérarchisées, peu complexes, d’où l’humanisme est absent.
Non pas qu’être à ce qu’on fait, relié, soit mauvais, évidemment. Mais une personne qui se construit sainement le fait naturellement. Ce n’est pas le centre de ses préoccupations.

Pour vanter sans cesse le moment présent, la méditation, et en faire une étiquette identitaire, il faut être complètement perdu et ressentir un grand besoin d’oublier le monde stressant dans lequel on vit.
Cette obsession signale les problèmes que l’on ne parvient pas à résoudre. C’est un moyen de gérer l’angoisse dans un monde qui ne nous laisse comme prise que l’abandon de tout projet politique, qu’il soit humanisation de la société ou humanisation de soi.

Bessel Van der Kolk, spécialiste mondial des traumas observe (et il n’est pas le seul) que de nombreux assidus du Yoga et des cultures asiatiques sont psychotiques. C’est ce qui leur évite de sombrer totalement dans la folie et de continuer à fonctionner en société.
Si on leur enlève cette bouée, ils coulent.
Mais c’est parce qu’on ne leur a jamais appris à nager….

En réorientant, cet article a l’ambition d’aider à parcourir le grand bain sans bouée. Petit cours de natation humaniste…

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