Avoir du mal à pleurer/ avoir du mal à jouir
°
Lorsqu’on grandit dans une famille dysfonctionnelle, pathologique, une famille de merde quoi, on souffre continuellement du rejet, des pressions, des peines infligées, du manque d’amour…
Et nos parents poussent souvent le vice, afin aussi de préserver leur homéostasie, à exiger de nous qu’on aime être soumis, qu’on aime ce qu’ils nous imposent, tout en goûtant nos larmes (qui sont pour eux, et pour nous, notre défaite ultime).
Ils veulent qu’on pleure quand ils nous briment, afin de jouir totalement de notre abandon, les pleurs étant un abandon de l’enfant que nous sommes à leur toute-puissance, l’expression de notre fragilité. Les pleurs sont le signe que notre dernière résistance a cédé.
En pleurant, nous sommes leur objet, complètement.
Parmi nous, certains pleurent, se soumettant à cette violence, cédant devant la puissance parentale, écrasés. D’autres, même s’ils pleurent quelquefois, ou ont pleuré, se construisent un espace de liberté, refusant du fond de leur être la structure du système familial, et gardent leurs larmes, ne voulant donner à leurs parents le spectacle de leur être en pleurs. Ils entrent en rébellion en refusant de pleurer. Vous ne m’aurez pas complètement, hurlent-ils au fond d’eux.
La perversité des parents atteint un stade ultime lorsqu’ils sont ceux qui amènent l’enfant aux larmes, exigent cette soumission totale par les larmes, cet abandon ultime, tout en le refusant une fois obtenu.
Ceci afin d’aller encore plus loin dans la prise de pouvoir : “Ah, mais arrête de pleurer, je t’interdis de pleurer.”
Le parent veut les larmes comme signe de soumission totale, mais il ne veut pas les larmes attendrissantes, celles qui devraient le conduire à protéger son enfant, à le consoler…
Je te soumets et je te rejette, dit-il pour asseoir son pouvoir. Je te rejette quoi que tu fasses, je n’accepte et soutiens que ta soumission, ta peine, et le seul plaisir que je t’octroie est celui qui réside dans ta soumission.
Tu dois aimer ta soumission. comme tout esclave totalement à merci devrait le faire, afin d’aller encore plus loin dans sa déchéance. L’objet doit aimer être un objet….
Ainsi, le parent, de par ses actions et de par la structure pathologique de la famille, tue le plaisir de l’enfant, il en fait un être anorgasmique, ne sachant jouir. Du moins c’est ce qu’il vise. L’enfant, tout comme lui, ne doit pas aimer la vie… Sans souvent en être conscient, il a mis en place une entreprise destinée à briser l’enfant, tout comme il a été lui-même brisé, ce qui lui permet de s’arranger avec sa mémoire traumatique, de dissocier en faisant subir la douleur et l’immense détresse qu’il a subies. Comment en effet pouvoir aimer la vie si tout ce qui pourrait nous donner du plaisir est punissable, nous est enlevé, ou qu’il nous en est laissé que des parties, quelques pièces, quand le plaisir est ainsi sali? Comment aimer la vie quand on ne se sent pas aimable, car pas aimé, et que l’image que l’on a de soi est misérable : celle d’un petit être réduit en esclavage, toujours dans la faute et considéré comme incapable, considéré comme une erreur de cette même vie ?
Et, le pire, c’est que le parent détruit ce plaisir fondamental d’être en vie chez son enfant, il détruit donc partiellement ou totalement son élan naturel de croissance, d’abandon aux forces de vie, pour le soumettre aux forces de mort présentes en lui et qui le torturent (mémoire traumatique)… tout en exigeant que l’enfant aime ça. Soumis aux forces destructrices, aux forces de mort du parent, l’enfant est quand même sommé de “faire semblant”, de dire et montrer qu’il aime cette structure familiale pathologique, qu’il aime son malheur… Il doit faire bonne figure, aimer son esclavage. C’est très souvent ce qui lui est demandé, même s’il est humilié publiquement, puni régulièrement. C’est ce qui se passe dans nombre de familles “respectables”, c’est-à-dire des familles qui sont assez conformistes pour jouer le jeu social et mettre des bornes publiques à leur violence. C’est-à-dire la plupart des familles…
Et ainsi, bien souvent, l’enfant soumis, obligé de faire bonne figure, grandira en ne sachant faire confiance à ses émotions, il grandira en considérant, finalement, la violence, l’humiliation, la soumission à l’ordre, comme normales
Il passera ainsi à côté de sa vie, de la vie… Et détruira d’autres vies, s’il en a à sa disposition (famille, travail).
Dans ce cadre, l’enfant qui pleure plus facilement est un enfant qui cède donc plus facilement, donc plus soumis. Il va grandir en se soumettant sans trop d’encombres à l’idéologie dominante, faisant le jeu du conformisme social. Et sa soumission est acquise, même s’il apprend à retenir ses larmes, à force de subir les injonctions parentales verbales ou non-verbales, qui les refusent (ses larmes, sa sensibilité exprimée).
A l’âge adulte, il sera un parfait exécutant de la logique sociale, exprimant une sensibilité “normée”, une sensibilité qui s’exprime dans les bornes de ce qu’admet la société, une sensibilité de surface, superficielle, afin d’éviter autant que possible le réveil de la mémoire traumatique.
Il ne saura jouir de la vie que superficiellement, et pas longtemps, n’ayant pas accès à la/sa profondeur, car toute profondeur vécue amènerait le réveil de démons, de monstres, mis jusqu’ici sous clef, enfermés, puisque il n’a pas été connu, depuis tout petit, de moyens de faire autrement, de dépasser ces situations de souffrance et détresse extrêmes. Reste seulement le déni, et l’oubli forcé. Sa sexualité sera médiocre, soumise aux normes du moment : gadgets sexuels, romans sado-maso à deux sous et porno aussi crade que sa mémoire traumatique est enflée et douloureusement trop présente.
Les femmes ne jouiront pas, ou si peu, prenant bien souvent comme “le grand soir”, comme des feux d’artifice, les quelques pétards qu’elles ressentiront parfois dans le ventre…
Mais que vivre d’autres quand on n’a pas de référent, quand on n’a pas les outils pour comprendre et se comprendre, quand l’accès à nos propres profondeurs a été barré? La sauvagerie brute de la vie, de l’élan vital qu’exprime le plaisir sexuel, ne peut être que jouée, et bien mal jouée, quand cet élan vital a été foulé aux pieds par des parents eux-mêmes traumatisés, et ce dès l’âge le plus tendre. Quand on n’a pas appris à vivre, quand on n’a pas appris à aimer la vie, on ne peut que faire semblant, et toujours rester loin de l’essentiel.
Et que dire de l’enfant qui s’est créé son espace de rébellion, en refusant à ses parents le plaisir de voir ses larmes couler? Cet enfant qui refuse les règles du jeu, qui a du recul par rapport au système familial. Qui a UN recul… Cet enfant qui, comme les autres, n’a pas le droit au plaisir de vivre, mais qui ne peut jouer la comédie, ne peut accepter pleinement de jouir de se soumettre.
Je ne parle pas de l’enfant qui, contraint, forcé par des parents qui dénigrent ses larmes, a fini par obéir, se soumettre et grandir en ne sachant plus pleurer. Je parle de celui qui, très tôt, est entré en rébellion, de celui qui se met à l’écart, qui ne peut faire autrement que rester fier face à ses parents.
Peut-être parce que ses parents n’ont su aller jusqu’au point où ils auraient aussi, comme tant d’autres, exigé que l’enfant ne pleure pas. Peut-être parce que, dans leur violence et leur rejet, leur brimades, ces parents ont inconsciemment laissé à l’enfant la possibilité de construire son espace de liberté et de lutte. Peut-être qu’ils n’ont su ou voulu le briser complètement…
Cet enfant, qui ne peut ainsi adhérer aisément à la psychose sociale, car restant rebelle, insoumis, par force et par chance, va développer son propre univers de rêves et de fantasmes, voulant peut-être bien refaire le système. Mêlant indistinctement, s’il n’a pas appris le recul, système familial et système social.
Il deviendra peut-être dictateur, avide de pouvoir, de changer le monde, révolutionnaire, activiste. Froidement enfermé dans un extrême de ce que la société peut dire et faire de pire, plus anorgasmique que les anorgasmiques conformes, plus glacé, insensible, brisé par ses exigences d’amour inconditionnel inassouvies.
En effet, cet enfant devenu adulte, restant en contact avec ses profondeurs, de par l’espace d’insoumission qu’il a conçu, va peut-être bien vouloir les fuir tout en les comblant, pour ne pas voir sa mémoire traumatique surgir et le dévorer .
Mais il se peut aussi, qu’à l’inverse, l’enfant entré en rébellion, garde un lien vivace avec sa mémoire traumatique, voulant la résoudre et non la combler, révolté, en colère, vivant, toujours vivant, en quête de plus de profondeur, toujours, affamé de vie et donc de sexe.
Une quête de tendresse et de sexe chaud, bouillant et virevolant, explosif et débridé, une quête d’adhésion, d’adhérence, constantes, à l’élan vital, celui qui rend créatif, amoureux non superficiel, et avide de tout changer… mais sans jamais perdre l’amour.
Et, à travers ses créations, à travers l’amour toujours redécouvert, si cela lui est permis, il apprendra à pleurer.
Et il se régénérera, se construira autre tout en étant lui-même, enfin complètement vivant. Non plus en quête, mais enfin installé en lui-même et dans la vie. A sa place, enraciné dans les tréfonds terrestres de la vie, et la tête dans les étoiles, grandi, étiré, en équilibre dynamique et, aussi, plus proche que jamais des autres.
Il saura prendre et voudra donner. Il bougera ce qui cherche à rester immobile. Il changera la donne.
Comme le dit Edgar Morin : « Ainsi l’hominisation prélude par un malheur écologique, une déviance génétique, une dissidence sociologique, c’est-à-dire aussi une modification dans l’autoreproduction de l’écosystème (forêt devenant savane), une modification dans l’autoreproduction génétique chez un primate évolué (mutation), une modification au cours d’une autoreproduction sociologique, c’est-à-dire la scission d’un groupe juvénile fondant une colonie extra-territoriale.
Il semble donc déjà que les anormaux, les rejetés, les heimatlos, les aventureux, les rebelles, soient les initiateurs de la révolution hominienne. »
(cité dans le Tome 2 de la Méthode Lafay, l’espace stratégique)
Dans notre univers, nous fabriquons les rebelles que vous n’avez pu être, et orientons ceux qui sont déjà en quête, pour éviter qu’ils se perdent en chemin. Nous leur.. permettons.
Devenons plus humains, avançons dans notre hominisation.
Ouvrons l’accès aux profondeurs, un accès sécurisé par la connaissance et la tendresse; ouvrons l’accès aux larmes et au plaisir.
Je me reconnais malheureusement très bien dans ce portrait d’enfant devenant tortionnaire…
Enfant torturé devenant adulte tortionnaire je veux dire.