Pouvoir jouer avec les mots, c’est connaître au préalable leur véritable définition. C’est disposer d’un recul minimum sur notre vocabulaire, et donc notre pensée.
A une époque où l’on détruit de plus en plus le sens des mots, autant pour des raisons de basse manipulation politique que des besoins du “Moi Je”, qui redéfinit constamment le monde afin de satisfaire son fantasme de toute-puissance et de refonte du réel (ce qui va ensemble), l’humour propre aux jeux de mots pourrait finir atrophié sévèrement.
Peu sont en mesure d’y penser, mais c’est un signe, encore, de la fatigue du collectif et du vivre ensemble.
Car c’est avec des mots bien définis qu’on communique. donc qu’on peut vivre ensemble et s’aimer. Débattre, analyser, hiérarchiser, argumenter..Sans mots bien définis (ce qui implique une possibilité extraordinaire d’humour), l’espace commun se meurt.
Pourquoi, en effet, jouer sur les mots, si c’est “chacun sa définition”, “chacun sa vérité”?Certains vont en venir à penser que les jeux de mots sont une activité puérile, alors que ce qui est puéril, c’est ce surgonflement du Moi, dans notre société, qui leur enlève leur substance et donc leur force. C’est ce narcissisme aveugle qui relativise tout sens, toute vérité, qui vide les mots de leur sens, et donc ne peut comprendre tout jeu fondé sur leur sens.
Ce qui est puéril, ce n’est pas le jeu de mots, qu’engendre la notion d’espace commun, c’est au contraire l’éclatement du collectif en autant de sens, de vérités, de définitions, qu’il y a de narcisses…. aux dépens des narcisses eux-mêmes, mais il faudrait du recul pour qu’ils s’en rendent compte, et justement, l’humour qui le permet est avorté d’office, les enfermant dans une boucle irréductible : de moins en moins de sens > de moins en moins d’humour, > de moins en moins de sens, etc.
L’affaiblissement des jeux de mots est signe de l’éclatement de nos possibilités relationnelles, vers un humour conventionnel politiquement correct, sous des dehors subversifs d’où la profondeur est exclue, pour cause d’obligation à ne vivre qu’à la surface de soi-même.
Pour se comprendre, en profondeur, il faut des mots dont le sens est clair.
Et c’est ainsi que nous pourrons rire, par compréhension de ce qui nous unit, de ce qui nous sépare..
Illustration : éclatante démonstration des liens entre vocabulaire, sens des mots et humour.
