(aperçus du chemin vers une vie bonne)
Est-ce que la meilleure façon de se construire est “à l’orientale”?
Sans buts conscients, immergé dans le processus? C’est-à-dire dans une acceptation active de l’ordre profond et superficiel du monde…
Je ne parle pas ici de l’acceptation du seul ordre superficiel du monde, qui est une conception très occidentale, fondée sur l’adhésion pleine et entière aux jeux de pouvoir humains, avec négation des processus profonds de la vie, qui nous reviennent donc en plein visage un jour ou l’autre.
Je parle d’une conception du sens de la vie apportée par le monde chinois, très bien décrit par François Jullien, philosophe et sinologue. Une conception qui ne s’embarrasse pas de buts conscients, de plans. Et qui cherche au contraire à ne faire qu’un avec les mouvements du monde, sans états d’âmes (ou si peu).
Est-ce que la meilleure façon de se construire est donc ainsi, “à l’orientale”?
Bah non !!! Même si cela semble en apparence plus respectueux de l’ordre du monde. Se couler dans les processus serait sagesse. Mais quelle sagesse? Suffit-elle à l’humain moderne?
Faut-il se construire à l’occidentale, alors?
En planifiant tout? En violant l’ordre du monde pour le soumettre à nos idéaux?
Bah non !!!
Nous sommes occidentaux, et (pour l’instant, car ça dégénère assez vite depuis 30 ans) l’individu a une valeur. Il ne veut pas se résumer à être noyé sagement dans les processus qui ordonnent le monde.
Nous voulons que notre vie ait un sens. Sans souvent trop savoir quel sens.
Nécessairement, nous allons vouloir “architecturer” notre vie, faire des plans la concernant.
Mais se focaliser sur le plan, à l’occidentale, c’est nécessairement en venir au forçage. On va vouloir faire entrer le réel dans le plan. Et on ne s’interroge pas sur le plan conçu, qui peut-être irréaliste, psychotique, immature, etc.
La pensée orientale (chinoise, plus précisément) sert alors à donner une assise réaliste à notre volonté de donner un sens à notre vie.
1 – s’interroger sur le savoir-quoi (si l’on fait attention à ce que sont les processus, on peut voir si on a des chances de réussir, et si le but est valable).
2 – on peut planifier et replanifier notre vie, la confrontant ensuite au réel en mettant de côté les buts conscients pour s’immerger dans les processus, afin de gagner du terrain en forçant le moins possible.
3 – on sera moins obsédés par nos échecs si on relativise les buts conscients. On sera donc plus libres et heureux, capables d’apprendre.
Il faut donc avoir des projets. Il faut leur donner une valeur, les penser et les agir. Mais ceci sans que ce soit une obsession constante. Penser la valeur de nos projets est plus important.
Il faut néanmoins des périodes d’obsessions, comme il faut des moments où on force intensément en musculation
De temps en temps, en laissant pointer notre hubris, on se retrouvera face à soi et au monde. Ne pas chercher à devenir Dieu, mais vouloir être un individu joyeux va passer aussi par des chocs. Pas des chocs qu’on doit rechercher pour eux-mêmes, façon NPNG, mais des chocs qui viendront de la friction avec les autres et le monde.Peut-être qu’il pourrait en être autrement dans un monde où ne séviraient pas les multiples violences inhérentes au mode de vie occidental (dont les VEO), mais le fait est que sur chacun de nous pèse le poids de notre longue histoire. Parfois, il faut se battre….On ne peut tout faire en douceur, en s’immergeant dans le processus, et en évitant tout projet, étant portés par une nature bienveillante. La nature n’est bienveillante que lorsqu’on la comprend. Car elle ne veut pas nécessairement le bien individuel.
Or, nous, nous voulons notre bien individuel…
La relation avec la nature est comme toute relation : tissée de joie et de conflits, et il faut savoir s’accorder afin de parvenir à un mariage heureux. Le conflit n’étant pas l’obstacle, mais un des éléments premiers de la croissance.
Pour finir, l’absence de projet, c’est aussi écarter toute humanisation de l’humain. Dans la pensée des processus, on voit que ce qui compte au final, ce qui reste lorsqu’on écarte les buts conscients, c’est les rapports de force; le pouvoir. On ne peut en rester là.
Ainsi, la philosophie du plan (occident) et la philosophie des processus (Chine) finissent au même endroit, là où on ne sait pas dépasser la relation décomplexée au pouvoir.
Si on cherche l’amour; si on comprend qu’il est inscrit dans notre chair comme le but à atteindre et conserver pour être un individu heureux, si on le sait et dit souverain bien, but et substance de la vie, alors il faudra penser des plans. Se projeter.
L’amour demande une vision différemment guerrière; le trouver est une quête au-delà de la simple acceptation de ce qui est; une quête d’amélioration de l’humain.
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Illustration tirée du film Excalibur (Boorman).
A mon sens, l’enseignement du film et de la légende est que l’individuation passe par le pouvoir mais cela ne lui suffit pas. Tout au long du film, on voit l’amour et la dignité bafoués par la quête absolue du pouvoir. A la fin du film, on peut imaginer un recommencement, humanisé cette fois, où l’amour, la compréhension de ses règles, ont leur vraie place.
L’unification de soi, la croissance de soi, peut passer par la violence, et les purs rapports de force, impensés, mais cela finira nécessairement dans la violence, l’échec brutal, le conflit permanent. Et le virage vers une autre croissance, celle tissée d’amour, sera à jamais raté.