Très régulièrement, nous lisons des interventions où il est dit implicitement, ou explicitement, que toutes les opinions se valent.
En général, c’est ce qu’affirme la personne quand elle ne veut pas accepter l’argumentation de son interlocuteur. Dire que toutes les opinions se valent, c’est pouvoir rester sur sa position…
On n’a même plus à accepter quoi que ce soit du discours de l’autre, puisqu’on n’a même plus à en tenir compte…
Dire que toutes les opinions se valent, c’est aussi se trahir. C’est trahir son besoin naïf de suprématie, puisque cela montre notre vision du rapport à l’autre : notre opinion doit rester supérieure, même si quelqu’un vient de la démolir avec une argumentation dérangeante.
Penser que nous aurions tous raison, à notre façon, n’est pas forcément erroné : nous avons tous un aperçu des situations qui peut être considéré comme exact. Pascal, dans Les pensées, l’explique fort bien lorsqu’il traite de la persuasion.
La question est de savoir, par contre, si notre aperçu (notre point de vue) est plus ou moins large, plus ou moins étriqué…
Ainsi, ne voir que l’arbre, c’est oublier la forêt. On a raison de dire que l’arbre est là, qu’il est important, on peut même s’attarder à le détailler. Mais cela reste un point de vue partiel et aveuglé, puisque les milliers d’autres arbres qui composent la forêt sont oubliés. On perd la notion de diversité (des espèces), on perd le concept de forêt. On perd la possibilité de comprendre nos semblables, on perd la possibilité de s’accorder (réellement) avec eux, etc.
Beaucoup de gens pensent comme ça, beaucoup de gens ne voient qu’un tout petit arbre (qui existe bel et bien), en font un baobab, le “seul” arbre, et c’est la source de bien des guerres. Leur point de vue est partial et ils se reposent sur une sorte d’intuition qui serait censée leur dire ce qui est juste et vrai.
Alors, on assiste à des combats de vérités contre d’autres vérités, appuyés sur quelques connaissances parfois, mais surtout sur le sentiment profond d’avoir raison, une sorte d’intuition qui nous guiderait mieux que l’intelligence et le savoir.
Cette “intuition”, ce sentiment d’être dans le vrai, créent des guerres, car on occulte ainsi une vue panoramique des phénomènes, et l’individu qui se repose sur ce “troisième oeil” s’illusionne sur son pouvoir : on ne crée pas l’intelligence et le savoir ex-nihilo, tout seul en soi-même. C’est un des grands signes de l’hubris (démesure) moderne où les égos sont poussés à s’affirmer et se déployer au maximum. Où l’orgueil est bien souvent la seule boussole.
Chacun veut être le plus malin, le plus fort, le plus riche, le plus rapide, le plus beau, le plus habile, le plus, le plus, le plus…
Mais, pour satisfaire concrètement son égo, sans trop s’illusionner (et tomber un jour de haut), il faut du travail et beaucoup d’humilité (pour se mettre en condition d’apprendre de l’autre).
Pour l’emporter lors d’une confrontation d’idées, il faut du travail.
Fonder la vérité en soi-même serait alors un moyen économique de s’assurer d’avoir toujours raison, contre qui que ce soit. Et si l’affrontement, car c’est un affrontement et non un échange, semble “objectivement” tourner mal, alors il reste la dernière pirouette pour se déclarer vainqueur : “toutes les opinions se valent.”
L’intuition, le culte de l’opinion relative, seraient alors un moyen économique de se déclarer “puissant”, intelligent, un moyen de s’épargner le réel travail nécessaire au développement effectif de son intelligence (base d’une connaissance processive élargie).
Tout est relatif… sauf moi.