Anonymat et médiocrité

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Extraits :

Jadis, dans les latrines, on pouvait lire sur les murs des graffitis dans lesquels s’exprimait toute la misère sexuelle du monde. Pas besoin d’une sociologie très appuyée pour saisir ce qui travaille l’âme du quidam au moment de sacrifier aux nécessités des sphincters : on se vide, on se lâche, on éclabousse avec les remugles de son animalité et l’on grave ses cogitations dans le marbre d’une porte en bois… On a les rostres qu’on peut ! Aujourd’hui, cette fonction a quitté les toilettes publiques, désormais entretenues comme un bloc opératoire, pour rejoindre des lieux guère plus recommandables : les commentaires postés au pied des articles sur les sites Internet. C’est en effet là qu’on trouve l’équivalent des littératures de vespasiennes d’hier… 

Internet offre tous les avantages de la lettre anonyme : vite fait, bien fait, caché dans la nuit du pseudonyme, posté en catimini d’un simple clic, le sycophante peut laisser libre cours à ses passions tristes, l’envie, la jalousie, la méchanceté, la haine, le ressentiment, l’amertume, la rancoeur, etc. Le cuisinier raté détruit la cuisine d’un chef qui travaille bien dix heures par jour avec son équipe ; le musicien loupé dégomme l’interprétation d’un quatuor qui aura superbement joué ; l’écrivain manqué donne des leçons sur un livre qu’il ne connaîtra que par la prestation de son auteur à la télévision ; le quidam qui se sera rêvé acteur ou cinéaste percera la poche de son fiel après avoir vu un film, etc. 

Le commentaire anonyme sur Internet est une guillotine virtuelle. Il fait jouir les impuissants qui ne jubilent que du sang versé. Demain est un autre jour, il suffira de regarder un peu cette télévision qu’on prétend détester mais devant laquelle on se vautre pour trouver une nouvelle victime expiatoire à sa propre médiocrité, à sa vacuité, à sa misère mentale. 

Michel Onfray

L’article complet : 

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/04/17/litteratures-de-vespasiennes_1335228_3232.html 

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