J’ai extrait cet échange des commentaires à mon précédent article sur la légitimité en musculation, le pensant utile et peut-être enrichissant pour les lecteurs, digne d’ouvrir à d’autres échanges sur les sujets qu’il aborde.
Bonne lecture.
Loghan : Je ne suis globalement pas convaincu par cet article, en effet en tant qu’enseignant, je doute que la réussite de tes élèves soit forcement source de légitimité : tous tes élèves peuvent tricher (ah, les années collège ou l’on use et abuse du travail d’un érudit habilement retranscrit), ou au contraire tous tes élèves peuvent réussir malgré toi.
(et oui, mauvais prof n’égale pas forcément mauvais élèves)
De plus, je pense qu’il faut se garder de trop de mépris envers ceux qui cherchent à monter l’échelle : la recherche de la confrontation est aussi un appel au progrès, et bien que cela soit une technique très adolescente, ma foi, elle a aidé à construire pas mal d’adultes
Olivier Lafay : La triche n’est pas la règle. Si elle est la règle, alors on doit retrouver le même pourcentage de triche dans toutes les “classes” d’une même catégorie, ce qui n’est donc plus un facteur d’explication suffisant. Expliquer le taux de réussite supérieur obtenu par un enseignant par la triche semble un peu léger, non? D’autre part, je parle d’enseignement en musculation. Ici, il s’agit donc d’élèves qui viennent à l’enseignant.
Pas d’élèves en situation de réussite, pas de réputation, pas de légitimité.
Un changement validé par un élève, multiplié…
En ce qui concerne le fait de “monter à l’échelle”, il y a un énorme malentendu, c’est certain. Relisez bien ce texte (et aussi les autres : je propose des voies pour le changement, ce qui inclut nécessairement des déplacements sur diverses échelles).
Loghan: je n’explique pas la réussite d’un enseignant par la triche, mais souligne qu’un enseignant , bien qu’il ait une influence, bonne ou mauvaise, ne saurait être le moteur du changement. il peut par contre en être le déclencheur.
Quand à monter à l’échelle, j’ai, je pense, bien compris ce texte et les autres. Je pense néanmoins que la recherche d’opposition peut aussi être une forme de reconnaissance : souvent s’opposer c’est se protéger d’un changement qu’on redoute. pour beaucoup, apprendre qu’il y a une autre voie en matière de musculation qui remet en cause leur modus operandi peut être délicat : certains resteront à jamais convaincus qu’il s’agit d’une escroquerie, d’autres y viendront petit à petit … c’est à ceux là que je pense quand je dis qu’il faut se garder du mépris : bien que leurs premières réactions puissent être agressives ou violentes, la contradiction peut nourrir le questionnement.
Olivier Lafay : Loghan, je ne partage pas cette conception de l’enseignement où le déclencheur s’oppose au moteur. Je pense au contraire qu’il doit y avoir, nécessairement, une dialectique spiralée entre le déclencheur et le moteur. C’est-à-dire un mouvement , une circulation susceptible d’amplifier l’un et l’autre en les reliant. Exclure le rôle moteur que devrait selon moi assurer l’enseignant, se tenir en arrière, sur ses gardes, c’est également exclure le couple implication/identification. Implication (de l’enseignant)/ identification (de l’élève). Si l’implication doit être modérée (pour être éventuellement déclencheur, mais pas trop, pas à tout prix) et l’identification exclue, on s’écarte de la possibilité, pour tous, de réussir.
Socrate, lorsqu’il enseignait publiquement n’était-il pas à la fois moteur (accompagner le mouvement de l’élève, le soulager en partie pour le faire avancer) et déclencheur (produire l’impulsion nécessaire à l’action) de l’apprentissage? C’est très aisément vérifiable dans les disciplines enseignables ayant pour but la réalisation d’une action concrète visible (le yoga, par exemple). L’enseignant doit être pédagogue. Et s’il l’est, il sera parfois le déclencheur, parfois le moteur, pour une même personne. Déclencheur quand son seul discours impulsera l’action efficace de l’élève (en direction donc de l’apprentissage), moteur lorsque l’élève aura besoin d ‘être porté, supporté comme avec une paire de béquilles, le temps d’accéder à l’autonomie.
D’autre part, pour répondre sur le deuxième point, je suis bien sur tout à fait favorable, dans l’absolu, à l’opposition, qui permet innovation et construction. Il est sain de pouvoir s’opposer. Mais il est bon de savoir s’opposer…
Je souhaitais, dans l’article, attirer l’attention sur la qualité de l’opposition, inciter le lecteur à réfléchir. Il est préférable d’avoir les moyens de ses ambitions : you can’t beat something with nothing.
La situation sociale de concurrence généralisée entre les individus (dont je fais l’état des lieux dans Introspection, premier chapitre de Méthode de nutrition) fait perdre parfois de vue ces simples idées, car le besoin de reconnaissance a tendance à étouffer la conscience (des enjeux, des situations, des risques, des limites… de soi).
Pour conclure : est-ce que cette vision d’axiomes relationnels absolus valables seulement pour un monde protégé, et d’une relativité imposée pour le monde ouvert qui l’environne, n’est pas une caractéristique propre au système de l’Education nationale, qui a ses mythes, ses obsessions, ses protections et ses théories, alors que le monde ouvert, libéral, où la définition de l’efficacité est imposée par les partenaires, dispose d’autres théories, ouvertes à la mesure de l’ouverture des échanges?