Médecine et constructivisme : vers des liaisons heureuses (Part II)

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Médecine et constructivisme : vers des liaisons heureuses (Part II)

J’ai choisi, pour illustrer l’article ci-dessous, écrit par Raphaël Arditti, les photos de personnes dont les travaux ont permis de fonder le Constructivisme ou d’en alimenter le développement.
Il s’agit d’un nouvel extrait d’une liste d’auteurs incontournables sans qui la Méthode Lafay n’aurait pu voir le jour. Ces personnes m’ont permis de penser, élaborer et affiner la méthode.
D’autres références illustrent des articles précédemment publiés sur ce blog, vous les trouverez en section “Philosophie”.

Place maintenant à l’article de Raphaël (la première partie de l’article est disponible en cliquant ICI).

 

Bonjour,

En tant qu’étudiant en médecine et pratiquant de la Méthode Lafay, j’aimerais montrer dans cet article comment les savoirs qui structurent la Méthode Lafay peuvent être selon moi transférés au domaine médical. En quoi le Constructivisme permet-il de repenser la formation des médecins, et comment ces derniers, une fois formés, soigneront-ils leurs patients ?
Comme nous le verrons, la prise en compte du contexte s’avèrera déterminante dans le but de proposer un enseignement ainsi que des soins de qualité.

 

Francisco Varela

 

I. L’enseignement de la médecine : acquérir des compétences

Dans le cadre des études médicales, prendre en compte le contexte revient à porter son attention sur la situation des étudiants auxquels on s’adresse. Quelles sont leurs attentes, leurs contraintes, leurs ressources ?

On peut penser que ceux-ci cherchent avant tout à acquérir des compétences dans le but d’exercer un métier et donc un rôle dans la société. Dans cette perspective, la formation se trouve subordonnée à la pratique clinique. Plutôt que de viser une connaissance exhaustive du corps humain (anatomie, physiologie, embryologie etc.), elle doit travailler à sélectionner, dans les divers champs de savoirs constitués (sciences dures, sciences humaines), les informations à même de permettre une prise en charge globale du patient.

Une fois ce tri opéré, on se trouve en possession d’une masse de connaissance, certes réduite, mais désordonnée. La prise en compte du niveau de nos étudiants devrait nous permettre de dégager un point de départ : en prenant garde à ne pas commencer trop « haut », mais bien plutôt à débuter à un niveau qu’ils seront en mesure de maîtriser, nous favorisons leur sentiment de contrôle, leur motivation et donc leur réussite. Enfin, à présent que nous sommes en possession d’un point de départ et d’un point d’arrivée (objectif), il s’avèrera nécessaire d’élaborer de multiples étapes intermédiaires, afin d’amener sans encombre l’étudiant à destination.

 

Andrée Piecq

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Une fois le volet théorique achevé, on peut se demander comment l’articuler avec la pratique de terrain. Afin que les deux se conjuguent et s’interpénètrent au mieux, il est préférable de créer un va-et-vient permanent entre eux, plutôt que d’enseigner toute la théorie avant de passer à la pratique.
Dans ce but, on transmettra au départ des informations d’ordre général, qui devront permettre à l’étudiant de se diriger avec un minimum d’assurance vers la pratique. Puis, la confrontation aux situations de terrain créera d’elle-même le besoin de collecter de nouveaux savoirs. L’étudiant pourra alors se tourner vers les connaissances théoriques organisées précédemment par l’enseignant afin de nourrir sa propre pratique. Ces pérégrinations incessantes permettront aux connaissances théoriques de diffuser et de se sédimenter progressivement dans l’esprit de l’étudiant, sans que celui-ci cherche à forcer leur acquisition.

 

John Weakland

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II. La pratique de la médecine : une prise en charge globale

La prise en compte des contextes psychologiques et sociologiques dans lesquels survient la maladie amène le médecin à reconsidérer profondément la prise en charge de ses patients, notamment en prêtant une attention soutenue à la communication qu’il peut entretenir avec eux.
En effet, lorsqu’une maladie survient (phénomène biologique), elle se présente alors comme un élément potentiellement intégrable à notre histoire personnelle. Notre identité peut être en partie comprise comme un récit, où divers événements ont été sélectionnés puis ordonnés chronologiquement, par nous ainsi que par notre entourage, dans le but de produire une cohérence à même de donner un sens à notre vie.
Ce récit, en fonction de ce qu’il raconte de nous, peut, à des degrés divers, rentrer en conflit avec l’événement « maladie ». Une personne se définissant comme une « battante », qui dans son histoire personnelle met surtout en avant les situations où elle est sortie victorieuse de nombreux combats, rencontrera probablement des difficultés à intégrer dans son récit l’annonce d’un grave cancer, dans le cas où celui-ci symboliserait pour elle une perte de contrôle.

 

Jean-Jacques Wittezaele

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Dans ce contexte, il semblerait que la relation thérapeutique ait pour premier objectif la réappropriation par le patient de sa maladie, la réintégration de celle-ci dans son récit personnel. Dans ce cadre, le praticien doit s’attacher à comprendre comment son interlocuteur considère le monde, les autres et sa propre personne. En utilisant son propre langage, en pénétrant dans son univers, il peut ainsi l’accompagner dans la construction d’une nouvelle cohérence, d’un nouveau récit de vie.

Les avantages d’une telle attitude vont se manifester à de multiples niveaux, notamment en permettant une relation de qualité entre le médecin et son patient, ainsi qu’entre le patient et lui-même.
En effet, la sensation d’évoluer dans un univers qui lui est familier amène le patient à davantage d’ouverture et de confiance, contribuant ainsi à l’instauration d’un réel confort psychologique propice à la guérison.

Se réapproprier la maladie permet également au patient de consolider son identité, de l’unifier. Un tel événement peut être en effet très déstabilisant car il n’est pas facile d’être dans le déni perpétuel : les défaillances du corps se manifestent régulièrement à la conscience, non seulement par les symptômes, mais également par l’attitude des proches ainsi que par les structures de prise en charge (hôpitaux, cliniques, maisons de soin etc.). Ces fréquentes perturbations mettent régulièrement en danger la cohérence et l’identité de la personne qui doit par conséquent lutter contre les autres et contre elle-même afin de préserver son récit.
A présent que la maladie fait partie de son histoire personnelle, elle n’est pas plus un élément extérieur qui lui échapperait : le patient se sent davantage capable d’exercer un pouvoir sur elle et il prend alors une place beaucoup plus active dans sa propre prise en charge.

 

Steve de Shazer

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Envisager les interactions entre les niveaux biologiques, psychologiques et sociologiques de l’individu peut ainsi nous permettre de conditionner au mieux la situation, en créant un esprit d’optimisme et d’enthousiasme chez le patient. Mais on peut également, sur le plan purement biologique, s’appuyer sur les organes qui interagissent avec l’organe lésé afin de mieux le soigner.
Deux exemples illustreront cette démarche.
En ostéopathie, on considère que les troubles affectant les organes profonds se répercutent sur les structures mécaniques : os, muscles, tendons, fascias etc. Ainsi, en soulageant ces structures directement accessibles par l’ostéopathe, on peut induire en retour un effet bénéfique sur les organes profonds. On fait alors l‘économie d’examens et de traitements à la fois coûteux et non dénués d’effets secondaires.
Il y a quelques mois, des chercheurs ont établis un lien entre l’activité de notre flore intestinale (1015 bactéries) et le fonctionnement de notre cerveau. On peut penser que cette découverte est potentiellement riche de promesses en ce qui concerne le traitement des pathologies cérébrales. En effet, le cerveau est un organe particulièrement bien isolé des vaisseaux sanguins, de par l’existence d’une barrière dite hémato-encéphalique.
Plutôt que de chercher à forcer cette barrière, pourquoi ne pas tenter d’atteindre le cerveau « de biais », en modifiant le fonctionnement de la flore intestinale dans le but de remédier au dysfonctionnement cérébral ?

 

Gregory Bateson

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Dans cette partie, nous avons vu comment la prise en compte du contexte (système) nous permettait de mieux prendre en charge un dysfonctionnement qu’on pourrait à tort considérer comme purement localisé au plan biologique. Mais la prise en compte du contexte ne permet pas seulement de contourner plus aisément les obstacles (maladies) qui se dressent sur le chemin de la santé. On peut également l’utiliser afin de réduire fortement la probabilité d’apparition de tels obstacles : ainsi, en maîtrisant son alimentation, en pratiquant une activité physique régulière, en cherchant à réduire son exposition aux toxiques et au stress, dans la mesure de ses ressources et de ses possibilités, on produit un contexte favorable à l’épanouissement de son organisme.

 

Richard Fisch

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Conclusion

En nous invitant à contextualiser nos actions, le constructivisme nous permet non seulement de mieux les orienter, par la création d’un objectif, mais il nous permet également d’identifier de multiples chemins pour y accéder. Si tout est lié, alors il existe de nombreux détours pour parvenir en un point du système et l’attaque frontale n’est plus l’unique solution. Ainsi, de même qu’il est possible de faire progresser les dips en bloquant momentanément cet exercice afin de se focaliser sur le reste de la triade, on peut également atteindre le cerveau en passant par le tube digestif, le corps par l’esprit, la théorie par la pratique. Cette multiplication de chemins possibles nous rend plus libre : notre éventail de choix est considérablement élargi et nous permet, dans chaque situation, de repérer puis d’emprunter un chemin de moindre résistance.

« Cultiver l’efficience en vous cultivant » (Olivier Lafay)

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